
Transfert de savoir-faire : un enjeu stratégique face au départ des baby-boomers
Avec le vieillissement de la population active, le monde du travail connaît une transition sans précédent. En Suisse — comme dans l’ensemble de l’Europe — cette réalité prend une ampleur particulière : d’ici 2030, plus d’un quart des travailleurs auront plus de 55 ans (OCDE, 2022).
Les départs à la retraite des baby-boomers — ces générations nées entre 1946 et 1964 — laissent entrevoir une perte massive de savoir-faire, d’expertise métier et de mémoire organisationnelle. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), cette vague démographique pourrait conduire à la sortie conjointe de centaines de milliers de salariés expérimentés.
Dans la majorité des entreprises, il existe toutefois peu — voire aucun — dispositif structuré pour assurer une transmission efficace des savoirs critiques. C’est un constat préoccupant pour tout acteur RH en charge de la gestion des compétences stratégiques.
Pourquoi cette transition est un défi critique ?
La plupart des savoirs mobilisés au quotidien dans l’entreprise sont dits tacites : ils échappent aux manuels, aux fiches de poste, aux procédures. Il s’agit de gestes, de subtilités pratiques, de réflexes acquis par l’expérience, de signaux faibles perçus par les experts métiers.
Selon Nonaka & Takeuchi (1995), ces savoirs tacites peuvent représenter jusqu’à 90 % des connaissances effectives utilisées sur le terrain. La disparition non préparée de ces « piliers silencieux » met directement en péril la continuité opérationnelle et la transmission des savoirs professionnels essentiels.
Le départ des seniors, sans dispositif anticipé, constitue une perte difficilement récupérable à l’échelle d’un service ou d’une organisation. Il devient donc indispensable de mettre en place un véritable plan de transmission des compétences pour anticiper cette transition dans une logique prévoyante.
Mettre en place des dispositifs de capitalisation
Pour répondre à cet enjeu, plusieurs leviers peuvent être actionnés : mentoring inversé, accompagnement intergénérationnel, entretiens de passation, création de binômes juniors-seniors, documentation structurée. Ces pratiques participent à la capitalisation des connaissances et à la sécurisation du savoir métier dans la durée.
Mais cette construction ne peut réussir que si elle est pensée globalement, comme un pilier actif de la gestion des compétences durable — et non juste comme un projet ponctuel de passation. Cela implique une collaboration étroite entre RH, managers opérationnels et collaborateurs clé.
La formation comme catalyseur de transmission
La mise en œuvre d’un plan de transmission des compétences repose aussi sur l’accompagnement pédagogique des acteurs concernés. Les formations ciblées permettent :
- d’identifier les savoirs critiques à transmettre ;
- de structurer leur documentation ;
- et surtout, de former les experts à la transmission elle-même.
Car transmettre, ce n’est pas simplement « raconter ce qu’on sait » : c’est savoir adapter son discours, rendre son expérience accessible, et créer les conditions d’un apprentissage mutuel.
Travailler le transfert de savoir-faire à travers une démarche de formation dédiée, c’est rendre l’implicite visible, et pérenniser la compétence dans le collectif.
Et maintenant… Quelle responsabilité collective dans la transmission du savoir ?
Alors que les départs à la retraite s’accélèrent et que les métiers gagnent en complexité, la question du transfert des savoirs devient incontournable.
Mais comment savoir ce qui doit – ou ne peut pas – être transmis ?
Peut-on tout formaliser ? Jusqu’à quel niveau ?
Et surtout : qui, dans l’organisation, porte cette responsabilité ?
RH, managers, salariés expérimentés ? Ou une gouvernance collective du savoir à construire ?
Le débat est ouvert. Et si c’était le bon moment pour revaloriser votre patrimoine immatériel d’entreprise ?
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📚 Références :
OCDE (2022), A Silver Economy to Drive Future Growth – www.oecd.org
Office fédéral de la statistique – Démographie et marché du travail
Nonaka, I. & Takeuchi, H. (1995). The Knowledge-Creating Company. Oxford University Press